Il y a quelques jours, nous vous parlions d’un rite breton particulier : les écouteuses des morts. La région Bretagne regorge de légendes et d’histoires intéressantes entourant le funéraire. Aujourd’hui, nous allons voyager jusqu’à la ville de Ploubazlanec, proche de Paimpol dans les Côtes d’Armor. Là-bas, s’y trouve le mur des disparus en mer, véritable monument historique. Que représente ce mur des disparus ? Pourquoi a-t-il été érigé ? Quelles étaient les traditions funéraires bretonnes ? Revenons plus d’un siècle en arrière pour comprendre.
Paimpol : haut lieu de la pêche à la morue
La ville de Paimpol, située dans les Côtes d’Armor a longtemps été le berceau de la pêche à la morue. Principale source de revenu des pêcheurs bretons, la pêche à la morue existe depuis la fin du Moyen-Âge.
La pêche à la morue a gravité autour de deux zones géographiques, sur des périodes différentes. D’abord, les marins bretons partaient pour Terre-Neuve et ce, jusqu’au début du XXème siècle. Ensuite, la pêche à la morue prend place en mer d’Islande, mais ne dure qu’une trentaine d’années.
La ville de Paimpol, au début du XIXème siècle est celle qui dispose du Quartier maritime le plus important de France. Les “morutiers” de Paimpol naviguent donc aux alentours de Terre-Neuve jusqu’en 1835. A cette époque, plusieurs centaines de pêcheurs bretons sont envoyés en grande pêche. Mais les morues se font de plus en plus rares dans cette région. Les Terre-Neuvas (les bateaux utilisés pour la pêche) nécessitent beaucoup d’équipage et de long voyages (entre 20 et 45 jours) ne serait-ce que pour atteindre les côtes de Terre-Neuve. Il faut alors trouver une autre zone de pêche pour subvenir aux besoins des bretons.
C’est alors que la région islandaise les attire. Il faut noter que les conditions de navigation sont très rudes à Terre-Neuve (froid glacial, entre autres). Mais les goélette utilisées pour aller jusqu’en Islande sont plus légères, l’équipage est moins nombreux et le temps de trajet n’est que d’une semaine. A partir de la moitié du XIXème siècle, les pêcheurs bretons sont donc invités à prendre le cap de l’Islande à bord de L’occasion. Il s’agit de la goélette de Louis Morand. Malheureusement, bon nombre de marins meurt en mer à bord de ce navire. Les hommes partent de longs mois, faisant face à des conditions climatiques changeantes, très mauvaises, contrairement à celles de Terre-Neuve. Les techniques de pêches sont modifiées pour convenir à l’environnement peu propice à la pêche dite “sédentaire“. Toutefois, la goélette fait sensation, et devient le bateau de référence.
Cette pêche islandaise durera jusque dans les années 1930, quand l’Islande décide en 1922 de règlementer la fréquentation de ses eaux territoriales et de limiter la pêche bretonne. La dernière grande pêche a donc lieu historiquement en 1935 à bord de la Glycine.
Femmes de pêcheurs, de l’attente au deuil
Etre femme de pêcheur n’est pas chose aisée à cette époque. Les maris partent pendant de long mois en mer, sans pouvoir donner de nouvelles à leur famille. Lors de la grand pêche en Islande, bon nombre de marins perdent la vie : ils tombent en mer, souffrent de maladie ou de blessures.
Il apparaît même que les bretons décédés en mer étaient alors inhumés directement dans les cimetières islandais, lorsque l’équipage disposait du corps du défunt. D’ailleurs, des religieuses bretonnes et des infirmières étaient réquisitionnées pour soigner les marins dans les hôpitaux franco-islandais.
En Bretagne, et plus particulièrement à Paimpol, les femmes et les enfants des marins partis en mer attendent patiemment des nouvelles de leur époux, qu’elles soient bonnes ou mauvaises. La traditionnelle Bénédiction de la mer permettait de rendre hommage aux marins décédés ou disparus en mer. C’est aujourd’hui encore un événement très respecté en Bretagne et sur le littoral français d’une manière générale.
D’ailleurs, à Ploubazlanec se trouve la Croix des Veuves. Les femmes de marins attendaient patiemment depuis cette croix l’arrivée des goélettes des pêcheurs ! Les photos d’archives montrent par ailleurs que les femmes portaient le deuil lorsqu’elles se rendaient près de cette croix, initialement nommée Kroaz Pell.
Le mur des disparus, lieu de recueillement
Face à l’attente insoutenable de nouvelles des pêcheurs, qu’ils soient en vie ou mort, les épouses éplorées décident de créer un lieu de recueillement. Sur le mur de l’enceinte ouest du cimetière de Ploubazlanec, les femmes des marins commencent à y accrocher des plaques commémoratives, appelées “Mémoires“, car chaque plaque débutait par la formulation “En mémoire de…”. Aussi, on y trouvait des objets funéraires de différents types, des croix, des décorations. L’objectif était alors de pouvoir honorer l’être aimé, disparu ou inhumé en Islande. En effet, le lieu de recueillement est essentiel au processus de deuil et permet également d’avoir un lien “concret” avec le défunt, ou tout du moins le marin disparu en mer.
En 1939, à la suite de la Guerre et des nombreux morts, la ville décide de détruire le mur des disparus. Les familles sont invitées à récupérer leurs Mémoires le temps des travaux d’agrandissement. Ce dernier est rebâti dans les années 50. En effet, les bretons sont toujours amenés à se rendre dans l’Atlantique nord pour y pêcher, prenant le risque de ne jamais revenir. Alors, le mur est reconstitué à partir de plaque de bois noires, accrochées par ordre chronologique, mais aussi par goélettes naufragées. Ainsi, les noms des marins péris en mer de Terre-Neuve et d’Islande y figurent tous, mais aussi ceux des marins sauvés ! Au final, le mur d’une longueur de près de cent mètres devient un véritable lieu de recueillement mais aussi de souvenirs historiques.
Si vous souhaitez visiter ce mur reconstitué des disparus, rendez-vous donc à Ploubazlanec. Aussi, les authentiques planches de l’époque se situent sous le porche de la chapelle de Perros-Hamon. Le musée de la mer de Paimpol répertorie de nombreuses photographies d’époque qui permettent aux touristes de découvrir l’histoire du mur des disparus mais aussi celle des familles de pêcheurs, entourant de nombreuses traditions.
Sources : Juliette Cazes et ses vidéos le Bizzareum, patrimoine.bzh, bcd.bzh , guingamp-paimpol.com
(Crédit photo : iStock)